Mâconnais : la géologie en filigrane de nos paysages

08/07/2025

Introduction : Entrer par les pierres pour comprendre le paysage

Quand on parcourt les routes sinueuses du Mâconnais, les variations du relief, l’alignement des villages sur les croupes, le vert tendre des vignes escaladant les pentes calcaires, tout semble à la fois naturel et minutieusement ordonné. Mais sous la ligne des crêtes, au-delà des jeux de lumière sur la roche, il existe un fil invisible et puissant : la géologie. Ce sont les couches terrestres, accumulées puis bousculées pendant des millions d’années, qui dessinent ces paysages si particuliers – un visage à facettes, où chaque recoin du Mâconnais semble avoir trouvé sa teinte, sa texture et sa respiration unique.

Les fondations géologiques du Mâconnais : un patchwork de temps et de matières

Pour saisir l’identité paysagère du Mâconnais, il est essentiel de plonger dans la mosaïque géologique du Sud Bourgogne. Entre la Saône toute proche et les reliefs du Charolais, le sous-sol du Mâconnais raconte 200 millions d’années d’histoire, tissée de plaques qui bougent, de mers disparues et de matières en transformation.

  • Le socle primaire : Ancien massif granitique, surtout présent dans les hauteurs à l’ouest du Mâconnais (près de Tramayes et du Haut-Mâconnais). Il offre une silhouette plus arrondie et boisée, avec des altitudes dépassant les 600 mètres.
  • Les couches secondaires (Jurassique et Crétacé) : C’est le cœur du vignoble. Entre 170 et 90 millions d’années avant notre ère, une mer tropicale recouvre la région, déposant les célèbres marnes, argiles et surtout calcaires oolithiques (source : Parc Naturel Régional du Mâconnais). Ce sont eux qui affleurent dans les falaises de Solutré ou Vergisson et font la signature des sols à vin.
  • Les formations tertiaires et quaternaires : Dans les vallées et au bord de la Saône, les dépôts plus récents (limons, alluvions) s’accumulent et donnent lieu à des terres fertiles, propices aux cultures céréalières et au maraîchage.

L’ensemble forme une succession de plis, de failles et de plateaux, où chaque roche a modelé le relief à sa manière.

Falaises, monts, combes : la “petite montagne bourbonnaise”

Le Mâconnais n’a pas la réputation de “hautes montagnes”, mais il s’agit d’un territoire accidenté, et le vocabulaire local gagne à être observé : ici, les “monts” ne sont pas que décor. Le point culminant culmine à 758 mètres à la Montagne de Cruches (source : IGN). Mais ce sont surtout les abrupts calcaires qui frappent : la Roche de Solutré (493 m) et sa sœur la Roche de Vergisson, sculptent l’horizon. On les doit à une érosion sélective, les couches calcaires du Jurassique, plus dures, résistant dans le temps alors que les argiles et marnes alentours ont fondu.

  • Les falaises emblématiques : Au moins six grandes barres calcaires émergent dans le sud mâconnais, de Cenves à Berzé-la-Ville et Azé. Ces “rochers” (Solutré, Vergisson, Mont de Pouilly…) sont aujourd’hui classés Grand Site de France.
  • Les combes : Ces vallons encaissés, parfois couverts de prairies ou de forêts, forment un maillage serré (par exemple autour de Cluny ou dans le Haut-Mâconnais), propices au bocage et à l’élevage.
  • Les “platières” et plateaux : Zones plus ouvertes, cultivées, qui alternent avec les vignes ou les bois.

Ce relief, loin d’être figé, reste mouvant – on le lit dans la dynamique des glissements de terrain, la “perte” temporaire de certaines routes lors de périodes d’intenses précipitations hivernales (source : DREAL Bourgogne-Franche-Comté).

Vignobles et sols : quand la géologie façonne la renommée des crus mâconnais

C’est un fait confirmé par toutes les analyses œnologiques : en Mâconnais, le vin commence sous la semelle, au contact même du sol. Le concept de terroir, cher aux vignerons, trouve ici sa traduction la plus tangible.

  • Les calcaires oolithiques du jurassique, très présents sur les communes de Solutré-Pouilly, Vergisson, Fuissé ou Igé, drainent bien l’eau et réchauffent rapidement, favorisant le chardonnay (90 % du vignoble mâconnais est planté dans cette variété).
  • Les marnes et argilo-calcaires apportent richesse et complexité, donnant des vins dotés d’une grande finesse, très expressifs sur les notes florales ou minérales.
  • Les terrains siliceux (plus rares, situés près des vallées) tempèrent les ardeurs du cépage, produisant des vins souples, parfois plus légers.

Selon l’INAO, il existe plus de 25 climats différents dans le Mâconnais (source : INAO), chacun lié à une combinaison spécifique de pente, d’exposition, et surtout de composition du sous-sol. Ainsi, un Mâcon-Milly-Lamartine n’aura pas la même charpente qu’un Pouilly-Fuissé, même séparés de quelques kilomètres.

Village Type de sol Effet sur le vin
Solutré-Pouilly Calcaires oolithiques Vins amples, minéraux, grande garde
Viré-Clessé Marnes blanches, argiles Arômes floraux, fraîcheur, finesse
Mâcon-Lugny Calcaires à entroques Rondeur, fruité, notes d’agrumes

L’eau, la roche et l’homme : l’influence du sous-sol sur la vie locale

La géologie du Mâconnais n’a pas fait qu’influencer la vigne : elle conditionne aussi l’architecture, l’agriculture… et jusqu’aux chemins qu’empruntent les habitants.

  • Matériaux de construction : La pierre calcaire de la région, extraite localement depuis l’Antiquité (notamment aux carrières de Berzé ou de La Roche Vineuse), a servi à bâtir maisons, églises romanes et murets, qui donnent leur cachet si particulier aux villages du Mâconnais (source : Inventaire du patrimoine Bourgogne-Franche-Comté).
  • L’évolution du bocage : Les limites naturelles des plateaux et combes ont orienté un découpage en petites parcelles, souvent enserrées de haies, favorisant la biodiversité et le maintien d’une agriculture “paysanne”.
  • L’eau et ses circulations : Le sous-sol karstique (présence de grottes et d’avens, par exemple à Azé ou Blanot) entraîne parfois des disparitions de rivières en surface, mais surtout une ressource en eau abondante et stable, bénéfique pour l’agriculture… et les fameuses caves naturelles pour l’élevage du vin.

Il n’y a pas un “pays mâconnais”, mais de multiples visages géographiques. Les anciens chemins muletiers, qui escaladent les croupes de calcaire blanc, témoignent d’une adaptation ancienne de l’homme au relief. Cela explique aussi la dispersion des hameaux et l’orientation “au midi” (vers le sud) des maisons traditionnelles.

Un patrimoine vivant : l’effet “géologie” sur la faune, la flore et la mémoire collective

En façonnant collines, falaises et sous-bois, la géologie dessine aussi des écosystèmes originaux. À la Roche de Solutré, près de 600 espèces végétales différentes sont recensées, dont 17 orchidées rares (source : Conservatoire botanique national du Massif Central).

  • Pelouses calcaires : Milieux précieux, menacés mais essentiels à la diversité du territoire, fort bien visibles en mai-juin lors des floraisons de sainfoin ou d’iris nains.
  • Faune caractéristique : Le Lézard vert occidental ou l’azuré du serpolet trouvent ici leur dernière terre d’accueil en Bourgogne.
  • Grottes préhistoriques : Des sites comme Solutré (fouilles depuis le XIXe siècle) ou Azé rappellent combien l’homme du Paléolithique avait déjà compris l’importance de cette roche calcaire percée de refuges naturels.

Ces “paysages de pierre” s’accompagnent d’un vocabulaire local prolifique : ici, on parle de “chaînons”, de “combles”, de “crêtes” ou d’“ecailles”, autant de mots nés du dialogue permanent entre l’homme et la roche.

Perspectives : renouveler le regard sur le Mâconnais géologique

S’interroger sur la géologie du Mâconnais, c’est accepter que le paysage ne soit jamais un simple décor. Le visiteur attentif perçoit à chaque détour cette alliance subtile entre pierre, plante et geste humain. Aujourd’hui, la valorisation du patrimoine géologique (parcours d'interprétation, circuits géologiques comme celui de Solutré-Pouilly-Vergisson, initiatives du Géoparc Beaujolais-Mâconnais, source : Association Géopark) participe non seulement à la connaissance mais à la préservation de ce bien commun.

Il reste mille manières d’explorer cette identité en couches : en arpentant les sentiers qui grimpent vers les falaises au lever du soleil, en discutant avec les vignerons de la façon dont ils “lisent” la terre, ou en percevant dans chaque église de village l’écho du calcaire sous nos pieds. Dans le Mâconnais, paysage et géologie tracent une même ligne de force – à chacun de la suivre selon sa sensibilité, son pas, sa curiosité.

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