Reliefs du Mâconnais, terres vivantes : comprendre leur impact sur agriculture et vigne

21/06/2025

L’essentiel d’un territoire aux mille pentes

Entre la vallée de la Saône et les premières collines du Charolais, le Mâconnais ressemble plus à un grand jardin en terrasses qu’à une plaine indifférenciée. Si la vue s’attarde volontiers sur la Roche de Solutré et l’enchevêtrement des vallons, il est moins courant de se demander comment ces reliefs donnent forme, dans le détail, à la vie du paysage et de ses exploitations agricoles – jusqu’à modeler la singularité de la vigne mâconnaise.

Cette question, loin d’être accessoire, irrigue depuis des siècles la façon dont on mange, vendange, cultive et vit entre Mâcon et Cluny. Pour beaucoup d’acteurs locaux, comprendre la géographie du Mâconnais c’est décoder l’une des clés fondamentales de sa réussite (et, parfois, de ses défis agricoles). Tour d’horizon argumenté, données à l’appui, d’un relief qui façonne plus qu’il n’impose.

Géographie du Mâconnais : entre calcaire, argile et vallons

Le Mâconnais se caractérise par une succession de collines douces et de vallées encaissées, avec des altitudes comprises entre 200 et 500 mètres. Plusieurs entités géographiques s’y imbriquent :

  • Les chaînons calcaires qui définissent les limites naturelles du vignoble et abritent la célèbre Roche de Solutré (495 m) et la Roche de Vergisson.
  • Des plateaux argilo-calcaires propices aux grandes cultures, élevages, prairies permanentes.
  • Un réseau dense de petites vallées orientées principalement nord-sud ou est-ouest, découpant le territoire en micro-paysages où l’exposition et la nature du sol changent rapidement.

L’héritage géologique (Jurassique puis Crétacé), l’érosion, l’action millénaire de l’homme et la présence d’anciennes terrasses alluviales complètent ce patchwork qui distingue le Mâconnais du reste de la Bourgogne viticole (voir DREAL Bourgogne, Atlas des paysages de Saône-et-Loire).

Relief et agriculture : une matrice de diversité

Des terres agricoles morcelées mais aux atouts variés

À rebours du cliché d’une monoculture viticole dominante, le Mâconnais compte près de 40 % de sa surface agricole en cultures diverses et élevage (source : Agreste Bourgogne-Franche-Comté, 2022). Pourquoi ? Parce que la pente, l’exposition, la profondeur et la composition chimique des sols influent autant sur le choix de la culture que sur son rendement.

  • Secteurs de plaine ou bas de versant (Saône, vallées de la Petite Grosne) : céréales, maïs, oléagineux profitent de sols plus riches, souvent inondables mais faciles à mécaniser.
  • Mi-pentes et plateaux : prairies naturelles et élevage de bovins charolais profitent de sols argilo-calcaires, mieux drainés, moins sensibles à l’érosion et à l’excès d’eau.
  • Reliefs les plus accidentés : c’est là que se nichent les plus anciens terroirs viticoles, souvent « inexploitables » pour l’agriculture industrielle, mais idéaux pour la vigne qui supporte bien la contrainte et profite des sols résilients.

Un paysage à l’origine des exploitations familiales

Autre conséquence du relief : le morcellement du parcellaire. Les exploitations du Mâconnais ont une taille moyenne de 28 ha agricoles (INSEE, Recensement Agricole 2020), avec souvent une mosaïque de petites parcelles, issues des héritages et du découpage historique pour s’adapter à la topographie. Ce fractionnement favorise une diversité de productions : poulets de Bresse, vergers, chèvres des collines, avec des circuits courts très présents dans le sud du département.

Ce modèle agricole reste, dans les secteurs accidentés, économiquement fragile du fait des difficultés d’accès, de mécanisation et d’entretien (remontées mécaniques, coûteuses, pour l’entretien de la vigne en pente).

La vigne mâconnaise : le relief, un orfèvre du terroir

Pourquoi les coteaux ? Logique du vignoble

L’un des marqueurs du vignoble mâconnais reste la culture de la vigne en coteaux. Près de 6 600 hectares sont consacrés à la viticulture – majoritairement en pentes faibles à moyennes entre 220 et 350m d’altitude (source : Interprofession des Vins du Mâconnais-Beaujolais, 2023).

  • Orientation sud/sud-est : Les coteaux, en s’ouvrant sur le soleil levant, évitent le gel tardif et bénéficient d’un ensoleillement optimal pour les cépages rois, Chardonnay et Gamay.
  • Drainage naturel : L’eau s’écoule rapidement, les racines plongent profond, ce qui favorise la régulation hydrique même en année difficile.
  • Effet sur la maturité et la concentration des raisins : Les vignes en pente donnent des rendements moins élevés mais souvent plus qualitatifs.

Des effets mesurables : microclimats, précocités et différences organoleptiques

Les effets du relief vont plus loin : le Mâconnais est jalonné de véritables « îlots climatiques » où chaque vallée, chaque coteau, produit un vin différent. Par exemple, entre les villages de Fuissé et de Chaintré, à moins de 4 km à vol d’oiseau, on constate régulièrement près de 2°C d’écart de température moyenne au printemps (Domaine des Deux Roches, 2017).

Commune Altitude vignobles (m) Sol dominant Appellation majoritaire
Fuissé 280–300 Argilo-calcaire Pouilly-Fuissé
Vergisson 340–370 Calcaires à entroques Pouilly-Fuissé
Chaintré 210–250 Sols plus profonds, limons Saint-Véran
Charnay-lès-Mâcon 240–300 Argiles et calcaires Mâcon-Charnay

La diversité des expositions et altitudes explique en grande partie la richesse des appellations : douze « villages » sont reconnus sur l’aire du Mâconnais (Mâcon-Villages, Lugny, Péronne, Azé, etc.), chaque commune revendiquant la typicité de ses pentes.

Du micro-terroir au climat : l’exemple emblématique de Pouilly-Fuissé

Dans le vignoble phare de Pouilly-Fuissé, les 158 hectares de « climats » classés en 1er cru depuis 2020 illustrent la façon dont une succession de pentes orientées différemment, avec des sols de composition variée, créent une palette inégalée dans le sud de la Bourgogne (source : INAO, arrêté août 2020). Ici, chaque inclinaison, chaque entrée de vallée, chaque veine de calcaire ou d’argile, détermine, d’une parcelle à l’autre, la finesse ou la puissance aromatique des vins.

  • Des pentes raides jusqu’à 35 % entre Vergisson et Fuissé : exigeantes pour la viticulture, elles sont synonymes de pratiques souvent manuelles mais créent aussi des récoltes plus précoces.
  • Des zones de bas de coteau plus fertiles réservées à d’autres usages, ou à une viticulture de volume plus accessible.

Reliefs et risques agricoles : contraintes ou alliés ?

Si le relief apporte identité et diversité, il pose aussi des défis concrets. Les agriculteurs et vignerons du Mâconnais y sont chaque année confrontés.

  • Érosion et ruissellement : Les épisodes pluvieux de 2022 ont entraîné une perte de 2 à 5 tonnes de sol par hectare sur les pentes les plus exposées, un chiffre inquiétant (chiffres Chambre d’Agriculture 71).
  • Risque de gel et de grêle : La diversité des altitudes protège certaines parcelles, en expose d’autres. Au printemps 2021, le gel a détruit localement jusqu’à 60 % de la récolte sur les bas de coteaux, moins sur les parties hautes (source : Bourgogne Aujourd’hui).
  • Difficulté de mécanisation : Sur les terroirs abrupts, le recours au cheval de trait ou à des chenillards est parfois indispensable, ce qui limite la taille optimale des parcelles.

Certains agriculteurs développent des pratiques de lutte contre l’érosion (installation de bandes enherbées, haies arbustives, drainage raisonné), tandis que des vignerons misent sur la complantation et la diversification des cépages pour s’adapter aux variants microclimatiques accrus par le changement global.

L’ouverture du paysage comme levier d’innovation

Les plateaux et vallons du Mâconnais, loin d'être de simples contraintes, sont une formidable matrice d’innovation. Des groupements d'agriculteurs travaillent aujourd’hui sur l’agroforesterie en pente (essais à Pierreclos, Azé), conciliant élevage, culture et maintien de la biodiversité. Le relief devient ainsi un facteur d'expérimentation et d’attractivité, valorisé dans des circuits courts ou des projets de tourisme agro-viticole (parcours à pied dans les vignes en forte pente, observatoire paysager à Solutré…).

  • Innovation technique adaptée : Les tracteurs enjambeurs ou les outils électroportatifs se multiplient.
  • Mise en valeur patrimoniale : Le classement UNESCO des paysages de la Roche de Solutré et de ses environs, reconnu en 2013, montre que la diversité du relief devient argument touristique et culturel.

S’ajoute à cela une présence accrue de jeunes agriculteurs attirés par la qualité de vie et par la variété des productions, permise précisément par la diversité des reliefs. L’effet d’entraînement, pour l’installation et la revitalisation des petites communes rurales, est aujourd’hui visible sur une partie du territoire.

Paysages mouvants : le relief au cœur des savoir-faire et de l’avenir mâconnais

La compréhension fine des reliefs du Mâconnais demeure donc un élément structurant : non seulement elle explique la différenciation des terroirs et des produits, mais elle reste aussi moteur d’adaptation pour une agriculture résiliente. Si demain, le visage agricole et viticole du Mâconnais devait changer, nul doute que ce serait encore dans le dialogue entre pentes, vallons, sols et hommes. Plus qu’une somme de contraintes, ce relief constitue un véritable capital vivant, à la fois défi et opportunité, sur lequel le Mâconnais bâtit depuis des siècles sa réputation.

Pour aller plus loin :

  • DREAL Bourgogne – Atlas des paysages de Saône-et-Loire
  • Chambre d’Agriculture de Saône-et-Loire – Observatoire Agricole
  • Interprofession des Vins du Mâconnais-Beaujolais : chiffres clés 2023
  • INAO – Arrêté de classement Pouilly-Fuissé 1er Cru (août 2020)
  • Domaine des Deux Roches : Météo et terroirs du Mâconnais
  • Site UNESCO : Paysages de la Roche de Solutré, Vergisson et Mont de Pouilly

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