Décrypter les sols du Mâconnais : une plongée dans l’âme du terroir

03/07/2025

Petite carte d’identité géologique du Mâconnais

Le Mâconnais, situé à cheval sur la Saône-et-Loire, à l’extrémité sud de la Bourgogne viticole, appartient à la frange septentrionale du massif du Mâconnais-Beaujolais. Ce territoire s’étale principalement entre la Saône et les premiers contreforts du Massif Central, sur environ 35 kilomètres de long du nord au sud.

  • Période de formation : Essentiellement jurassique (entre -201 et -145 millions d’années), avec superposition de dépôts crétacés et un modelé dû à la tectonique alpine.
  • Altitude moyenne : Entre 200 et 400 mètres, avec des pointes à plus de 500 m sur certaines collines.
  • Diversité : Quasiment toutes les grandes familles de sols viticoles de Bourgogne sont représentées.

Cette complexité s’explique par la rencontre entre des influences océaniques, méditerranéennes et continentales, mais surtout par une histoire géologique particulièrement riche (voir carte du BIVB ou du BRGM pour les détails).

Les principales familles de sols du Mâconnais

1. Les sols calcaires : colonne vertébrale du vignoble

Le calcaire est roi dans le Mâconnais. Il se matérialise par de grandes barres claires, visibles dans le paysage (la Roche de Solutré étant l’emblème le plus connu du secteur). Chez les vignerons, ces sols sont parfois qualifiés de “blancs” ou de “pierreux”, et marquent profondément le profil aromatique des vins produits.

  • Origine : Calcaire du Jurassique supérieur, issu d’anciens fonds marins aujourd’hui relevés et fracturés (ex : calcaires à gryphées).
  • Exemples marquants :
    • Solutré-Pouilly, Vergisson : pentes très caillouteuses, calcaires durs, racines de vigne qui puisent en profondeur.
    • Clessé, Azé, Igé : alternance de bancs calcaires, parfois couverts de cailloutis issus de l’érosion des hauteurs.
  • Impact sur le vin : Ces sols apportent tension, minéralité et finesse aux blancs (Chardonnay), fraîcheur et souplesse aux rouges (Gamay), avec une signature délicate en finale.

2. Les marnes : l’allié des grands blancs

Reconnaissables à leurs couleurs pâles et parfois bleutées, les marnes sont un mélange de calcaire et d’argile. Leur faculté à retenir l’eau et à nourrir la vigne donne naissance à des vins d’une grande expressivité aromatique.

  • Localisation : Souvent sur les flancs ouest du Mâconnais (Viré-Clessé, Montbellet, Lugny).
  • Typologie : Marnes du Lias et du Dogger, parfois enrichies de fossiles et de bancs argileux.
  • Influence : Elles offrent rondeur et ampleur au Chardonnay, ainsi qu’une très bonne tenue des vins à la garde.

Le contraste entre marnes et calcaires, ainsi que leur alternance sur quelques mètres, explique la palette très large des climats du Mâconnais.

3. Les argilo-calcaires : l’équilibre subtil

On parle souvent d’argilo-calcaire pour désigner les zones dans lesquelles l’argile intervient dans des proportions modérées, associée au calcaire. Ce type de sol se retrouve sur les coteaux bien exposés à l’est et au sud.

  • Particularités : Ces sols offrent un drainage efficace et conservent la fraîcheur, même lors d’étés chauds.
  • Exemples : Prissé, Davayé, Milly-Lamartine, Saint-Véran et une grande partie du secteur de Fuissé.
  • Pour la vigne : Idéal pour exprimer une belle vigueur végétative sans excès, ce qui favorise l’équilibre naturel du vin.

4. Les sols argileux : force et générosité

Sur certaines zones des vallées et des plateaux, l’argile domine, donnant des terres lourdes, souvent rouges à brunes.

  • Localisation : Bas des coteaux, anciennes zones de dépôts ; par exemple, une partie de la vallée de la Petite Grosne.
  • Aptitudes : L’argile retient fortement l’eau, ce qui peut être précieux les années sèches mais rend le labour difficile lors des saisons pluvieuses.
  • Usage historique : Nombreuses briqueteries locales au XIX siècle (ex : à Lugny ou La Roche-Vineuse) ; utilisation de l’argile pour la fabrication des tuiles et des poteries.

Pour la vigne, l’argile permet au Gamay d’exprimer puissance et gourmandise. On y trouve aussi quelques rares plantations de Pinot noir.

5. Les sables et éboulis : une signature beaunoise ?

Certains versants et pieds de coteaux présentent des sols plus légers, faits de colluvions sableuses ou d’éboulis calcaires issus de l’érosion.

  • Rôle : Parfaite adaptation pour les vignes de bas de coteau, précocité de maturité, vigueur moindre.
  • Effet sur le vin : Les vins révèlent souvent des notes fruitées franches et beaucoup de gourmandise.

On trouve ces sols, en taches, à Berzé-la-Ville ou Charnay-lès-Mâcon, ou dans les combes abritées. Ils racontent aussi une part de l’histoire de la vigne bourguignonne, car ces sols étaient parfois délaissés des paysans autrefois, avant d'être revalorisés par les vignerons modernes.

Écorce du sol et histoire humaine : interactions à travers les siècles

Impossible de comprendre le Mâconnais sans évoquer la façon dont l’homme a lu, exploité ou subi son sol. La diversité géologique a façonné le bâti : calcaire dur pour les maisons du Clunisois, argile pour les tuileries, marnes pour les chemins blancs. Mais elle est aussi à l’origine de la fragmentation “à la bourguignonne” des parcelles, les fameux “climats”.

Type de sol Utilisation historique
Calcaire Construction (églises romanes, maisons, murs de clôture…)
Argile Briqueteries, poteries, tuileries locales
Marnes Chemins blancs, amendement des terres
Sables/éboulis Culture, pâturages, vignes précoces

Focus : Quand le sol détermine la renommée des crus

La hiérarchie des appellations du Mâconnais s’appuie (en partie) sur une lecture très fine du sous-sol. C’est ce qui explique la présence de “villages” ou “climats” très recherchés.

  • Pouilly-Fuissé, Saint-Véran, Viré-Clessé : Trois AOC qui, à elles seules, recouvrent 80% des crus “prestige” du secteur. Leurs spécificités géologiques conditionnent la typicité recherchée par les amateurs.
    • Pouilly-Fuissé : Successions de calcaires du Bathonien, agrémentés d’éboulis, expliquent la matière tendue, expressive des vins, et leur garde.
    • Viré-Clessé : Marnes et argiles à dominante, offrant gras, amplitude et très belle densité.
    • Saint-Véran : Transition entre argilo-calcaires et bancs de calcaires durs, pour une signature à la fois dynamique et savoureuse.

Le découpage parcellaire actuel (8000 ha plantés, dont 90% en Chardonnay, selon les chiffres BIVB 2023) doit beaucoup aux décennies d’observation du comportement des sols face à la vigne, à l’eau et au soleil.

De la nature géologique à la vie du sol : comprendre les enjeux actuels

Aujourd’hui, la connaissance du sol ne relève plus seulement de l’observation empirique. Les analyses réalisées révèlent, sur chaque parcelle :

  • La réserve utile en eau (cruciale avec le changement climatique)
  • La composition organo-minérale, qui conditionne la vitalité microbiologique
  • La teneur en éléments (potassium, phosphore, fer…)

Plus que jamais, la biologie du sol – sa vie “secrète” – est mise en avant par les vignerons. Les pratiques agricoles récentes (couverts végétaux, limitation du labour profond, retour à la biodiversité des sols) traduisent cette prise de conscience : protéger le sol, c’est assurer la pérennité du terroir.

Le Mâconnais, grâce à la richesse de ses sols, reste un formidable laboratoire pour expérimenter viticulture de précision et techniques de préservation environnementale.

Entre érosion, résilience et transmission

La question du sol dépasse le seul cadre agricole. L’érosion différenciée des coteaux, les crues dans les bas-fonds, les glissements de terrain dans certaines combes rappellent que la géologie façonne climat et sociétés rurales depuis toujours. Localement, la variété des sols nourrit aussi le tourisme, la randonnée ou encore la gastronomie (truffes et champignons en marnes, par exemple).

En filigrane, c’est donc toute l’identité du Mâconnais qui s’écrit “en dessous”. Comprendre ses sols, c’est aussi apprendre à lire plus finement ses paysages, à travers la vigne, les pierres et la terre – et à apprécier la patience de ceux qui, depuis des siècles, savent en révéler les secrets.

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